Gaetano Persechini
Un chemin à partager
(Pour Thierry Metz. Texte paru dans le numéro 56 de la revue Diérèse)
Mouvement de la lumière qui accompagne le regard. Clarté sur les cimes. Vibrations et sensations colorées. Souffle de vie entre ciel et terre.
L’écriture est une respiration. Offrande.
La main qui façonne et bâtit, accueille. Force et douceur mêlées. Elle nous entraîne vers ce qu’on ne sait plus voir.
Révélation. Dévoilement.
Au cours d’un voyage au coeur du pays natal dans le sud de l’Italie, j’emmène avec moi quelques petits livres de Thierry Metz.
Tout autour, du gris clair des montagnes au brun et jaune des herbes séchées, et des teintes rousses au bout des branches d’hiver, cet environnement, silence et vallons, villages isolés, collines d’oliviers, lieu d’origine, me rapprochent des mots de Thierry Metz. Le ressenti, sensations et émotions au contact des choses les plus simples de la vie, d’un quotidien qui enflamme, apaise et nourrit.
Car il s’agit bien de cela, quels que soient le lieu et les circonstances, même dans ses plus sombres respirations, toute poésie vraie illumine.
Trop désaccordé et à attendre. Mais à présent, ce qui ne revient pas, le ciel au bord du regard le laisse deviner, au bout des hautes branches noires des arbres d’hiver.
Et ici toujours. Dans le retrait. Ce que le rêve ou l’espoir ne peuvent, la couleur le porte et l’invente, ou l’encre, de l’oubli à la mémoire jusqu’au cri de vivre.
Et ici, «entre le silence et le cri. L’errance du poète se fait encre» (1) ou couleur.
Le nom était là. La connaissance du nom. Thierry Metz. Entendu ou vu. Sur la couverture des livres parmi d’autres livres. Sur un bord de ciel. Mais jamais lu encore. Et ce manque à présent comblé. Ce nom et la lecture à présent revenus. Par leurs chemins, grâce à d’autres voix bienveillantes. Lumineux chemins au secret entre les murs effondrés du manque et de la perte, et l’irremplaçable et nécessaire silence de l’encre, au-delà de l’harmonie brisée.
Mots plus loin, habités de branches, de la terre et des pierres, pour composer «un jardin où aimer aller.» (2)
A l’atelier, assis devant la toile commencée depuis quelques jours, en attente, où les blancs et les gris en transparence respirent comme une «gâchée de chaux» ; et l’empreinte du souffle, les résonances des lectures des livres de Thierry Metz posés sur la table entre les tubes de couleurs et les pots où fleurissent les pinceaux.
Couleurs étalées comme avec «des mains de maçon» (3) pour aller vers la couleur la plus simple, comme la poésie de Thierry Metz allait «vers la parole la plus simple » (4).
Approcher cela.
La peinture est restée là dans cet état inachevé après mon départ. Pendant quelques jours, elle se recouvrira de poussière et de lumière.
J’attendais, devant la peinture, et j’avais alors écrit ces notes d'atelier, pour Th Metz, retrouvées à mon retour, entre deux couleurs, griffonnées au crayon sur des petits papiers :
(10/03/12) Notes d’atelier
L’encre froissée,
Ombre
En devenir
Comme descendue
D’un ciel trop noir.
Et ce souffle, remonté
Du blanc des dessous,
Suspendu
Comme une aube naissante
A tes mains
Et à la voix,
Force cri du vivre
De ces couleurs qui éclairent
(10/03/12) Note d’atelier
Sur le seuil du jardin
Tout ce blanc muet
De l’hiver
Que je laisse dériver à mes pas.
Et ces mots et la terre
Et le ciel d’encre,
Présences vibrantes
Sur le chemin devant l’ombre.
Renaissance
Dans la couleur autour du silence
L’encre ne dort jamais, ni dans l’ombre, ni dans le sommeil, ni dans l’inachevé, elle rejoint la terre ou le coeur des fleurs. Elle vit égarée mais ne s’appauvrit pas. Le ciel la nourrit et les branches mouvantes réveillent des clartés, c’est une espérance d’oiseaux.
«Bâtir le toit», «écrire pour recommencer» (5 ) n’était pas assez, pour effacer la douleur.
L’errance et l’encre des mots
Vers les plus hautes branches
Ou le plus profond puits.
Être dans l’instant,
Dans le cri du vivre mouvant
De la parole et de la lumière.
J’écris ces mots sur un carnet posé sur le petit livre jaune des Lettres à la Bien-Aimée, dans la salle d’attente d’un hôpital, à la tombée de la nuit en pleine campagne entre Rome et Naples. La montagne est légère derrière la ville. Elle éclaire. Les jardins s’habillent de printemps.
Dehors, il y a la vie et le temps d’écrire, ou de peindre.
Souffle de vie. Ce qui revient, Toujours.
Mots plus loin
Qui renversent la nuit.
Les mains posées sur le pli des saisons du cahier.
Des petites fleurs et des cailloux révélés avec l’encre et semés
pour un chemin à partager, pour un ailleurs.
Gaetano Persechini
10-18 mars 2012
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1. Terre (4e de couverture). Th Metz
2. Lettres à la Bien-Aimée. Th Metz
3. Lettres à la Bien-Aimée. Th metz
4. Lettres à la Bien-Aimée. Th Metz
5. Terre. Th Metz
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Depuis juillet
(Texte paru dans le numéro 105 de la revue de poésie ARPA)
Un seul vent de vieillesse sur les plis d’ombres du cœur
Devenus mélanges de soleil et silence sur l’herbe d’été
Au fond du jardin les années de feu et bleu nocturne cette vie secrète
Je te vois sur un plan tendu d’aurore rouge des murmures d’eau sur ta nuque penchée
La mer sombre de bleu lieu d’émotion Te souviens-tu des montagnes
Tant de jaune des mots versés dans l’oubli entre le ciel et l’eau de la rivière
Ô la musique encore intacte de ce que j’ai longtemps aimé et regardé
Ne parlons plus et ici quelques pages de poussière blanche entre les oliviers
Au jaune à la beauté des chemins derrière nous si longtemps encore s’étonner de cela
Et ces nuages des montagnes devenus si vite oubli pour cesser de rêver
Sur tes mains des chemins clairs souplesse des lumières du feuillage l’inoubliable
Revenir à toi debout caresser ces chants de douceurs d’eau apaisés sur ta nuque
Loin la demeure nos jours derrière la porte bleue au sud pour nous retrouver
Les méandres du doute la terre écrasée d’un feu d’ombre la lenteur de nos vies
Musique du soir qui vibrait de tout au jardin d’été mais nos corps fatigués
Ensuite la souffrance sans plus de tendresse ni de tristesse le dernier mot finir
Dans la même douleur de l’un à l’autre la même couleur ici le gris
Sur la terre rouge de l’autre côté de nos cœurs et la peur des mots puis fuir
Le vent sur les arbres roux nous longtemps seuls l’hiver de nos mains
Mais ce temps d’être ici dans la lumière et le souffle apaisé de la lettre
Cette vie rompue et les silences revenus il n’y a plus que les images
Que faisons-nous de nos vies cet amour délaissé cette ligne brisée que faisons-nous
De l’attente sur toutes choses les nuits trop longues l’odeur des fleurs derrière la fenêtre
Revenir dire mais comment ne plus avoir peur revoir cet amour qui efface la douleur
Souvent le soir rien d’autre ce qui reste entre nous au delà des lettres les lieux l’encre des yeux
Sur les soirs d’ombre rouge c’étaient tes nus sur ma peau qui me faisaient respirer des sourires
Des mots du dernier été dans la chambre bleue pour m’approcher de toi revenir aux couleurs de tes nus
Je marchais le long du fleuve chaque soirs les arbres immenses et gris comprenaient ma solitude
Ô cette douce lumière derrière le sommeil vers les balcons du rêve après le désastre et la fuite
Et ce chemin de la lenteur comme au bout du monde où coule le sang clair des origines aux pieds des oliviers
C’étaient tes larmes comme ailleurs plutôt loin déjà de nos couleurs et de l’encre de nos cœurs
Nous nous tenions près des lampes de nos hivers pourquoi cela cette surface d’épaisse solitude
Nous deux ce voyage qu’on ne peut oublier pourtant le temps a passé mais la beauté qui nous sauve...
Seuls sur le seuil du jardin pour l’étude des ombres cette distance d’ombre tellement repoussée entre nous
Ces ombres de lourds silences rongeaient mon visage mes gestes je ne parlais plus je ne faisais qu’attendre
Mon cœur vers la mer attendait la neige
Je n’avais plus la force d’aller à l’atelier retrouverai-je un jour ces couleurs des jardins de l’enfance
Qui chantaient des vertiges
Ne plus parler seuls les signes d’encre quelques traits des rumeurs du dedans les tempêtes les déchirures capables encore
De dire la solitude
Cet étouffement de la parole rien dire de plus pas plus dire que ces signes venus de loin
Si loin et ne plus reconnaître le sens d’où venu
Près des lampes du souffle et des espaces de l’invisible des ailes de craie et de cire tendre et lumineuse caressent mes paupières
Me tenir dans cet apaisement
Je sors de l’atelier il a neigé le silence dans les arbres je frissonne tout entier encore dans la peinture
Sur le seuil du jardin ce paysage d’un autre temps
Ces heures de partage entre le ciel limpide d’un doux souvenir et le feuillage sombre des journées d’incertitude
Cette vibration du jaune près du cœur
La chambre bleue encore dans le souvenir du dernier été le vert et le jaune de mes rêves autour des chemins et des pierres de nos nuits séparées
Je cherche le rythme qui agira sur le sens et l’architecture de cette vie tous ces trous d’ombre où les souvenirs et le mystère dessineront un ailleurs
Je me tiens sur le seuil de ce jardin de papier comme un inconnu l’âme obscure le regard suspendu au bord de ce paysage de nos défaites nos cœurs usés
(juillet-août 2004)
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Il peint avec…
Passe mémoire
Coeur du souffle
Glisse sur la colonne de lumière
Un moment de doute
Jeté au carré des formes d'une fenêtre sans traits
Comme une cendre l'autre
Subtile couleur d'ombre à la palette d'impossible
Pour quelle gloire
Ce face à face avec les images
Et leur disparition
Il peint avec un chien, avec une femme en pleurs,
Il peint,
Avec l'image révélée d'un oubli,
Avec la rivière du pays d'en haut, et la montagne qui éclaire,
Il peint,
Avec la porte et la fenêtre bleues de lumière
Livrées à la fureur de la beauté,
Il peint, avec l'inattendu,
Et c'est toujours un autoportrait,
Il peint,
A genoux
gaetano. 2015
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